D’aussi loin que je puisse remonter, j’ai toujours ressenti la honte d’être moi-même. Ma mère ayant beaucoup d’apprentissages sociaux à faire, elle m’a élevé dans un contexte de culpabilité. J’étais coupable de tout. J’étais un fardeau pour elle qui devait travailler sans relâche pour veiller à la santé financière de notre « famille ». Aujourd’hui, je sais que c’était son choix de vivre ainsi. Je peux comprendre qu’elle n’était pas outillée mais je n’arrive pas à saisir pourquoi elle n’est pas allée chercher des ressources. La table était mise pour ce qui m’attendait plus tard : les agressions. Je me laissais injurier parce que je pensais qu’ils avaient raison. Je me laissais bousculer parce que je croyais fermement que je ne vais rien. Pendant les agressions, j’ai d’abord lutté puis j’ai abandonné car j’étais convaincue d’être née sous une mauvaise étoile. Toutes les méchancetés que l’on m’a dites ont développé chez moi la honte du plaisir. Manger, être touchée, recevoir de l’affection, savourer une douce mélodie, tout ce qui m’apporte du plaisir me fait honte. En public, j’apprends à laisser mon rire s’échapper, à exprimer mes satisfactions. J’ai peur qu’on me critique, qu’on me juge, qu’on me rabaisse. Je dois me conditionner chaque jour afin de nettoyer les pensées toxiques qui me harcèlent. Malgré tout, les jours où je suis plus vulnérable, plus fatiguée, elles reviennent en force.
Les agressions ont aussi développé chez moi la honte de mon corps. À l’époque, il n’y avait aucune raison. J’avais un poids santé. Avec le temps, la boulimie leur a donné raison. Je suis devenue ce qui me faisait le plus peur : une femme dont l’obésité morbide fait honte à quiconque la côtoie. Avant les agressions, j’étais très sportive. Après, je me suis refermée sur moi-même et j’ai cessé tous les sports pour m’enfermer avec mon seul véritable ami, mon piano. Même lui, je n’arrivais pas à l’apprécier à sa juste valeur parce qu’il m’était imposé par ma mère qui avait toujours rêvé de jouer du piano.