dimanche 2 janvier 2011

Lettre à un des agresseurs



Souviens-toi, 1988, une petite fille aux cheveux longs châtains, souriante et plein d’idées folles pour rire et s’amuser. Que pouvait-elle avoir fait pour te déranger au point de lui vouloir du mal? Peut-être était-elle trop joyeuse? Est-ce parce qu’elle ne méritait pas sa place parmi vous? Quoi qu’il en soit, tu as choisi cette année là qu’elle te servirait de moyen pour te défouler. Cette petite fille c’était moi. Je vivais déjà l’enfer à la maison mais nul n’en état conscient. Imagine une enfant qui reçoit coup et injures par sa mère mais qui est capable d’amour inconditionnel envers les autres. N’importe qui de sensé aurait respecté une personne avec cette force intérieure. Tu as choisi une autre voie. Tout était prétexte à rire de moi : mon apparence, mes paroles, mon sourire… tout y est passé. Je sais que tu voulais te valoriser aux yeux de tes amis. Je sais que ça ne devais pas être rose pour toi non plus. J’ai longtemps excusé tes gestes par les souffrances que tu vivais. Je sais que tu as manqué d’amour de tes parents et probablement autres lacunes. Pourtant, rien ne justifiait ce qui a suivi.

Par un beau dimanche après-midi d’été, tu étais avec des amis. J’étais allé dîner chez celui que je croyais mon ami. Avais-tu planifié ce qui suivait? Je ne le saurais jamais. En fait, j’aimerais mieux ne pas le savoir. Je me souviens de cet appel. Celui que je croyais mon ami avait changé nos plans parce que tu voulais venir chez lui. Qu’avais-tu derrière la tête lorsque tu es arrivé? Je ne le sais pas. Malgré toutes les méchancetés que tu me disais au quotidien, j’étais contente de te voir. Je voulais qu’on me reconnaisse, qu’on m’apprécie pour ce que j’étais. Ton groupe avait l’air de se soutenir. Je rêvais de ces liens qui vous unissait les un aux autres. Lorsque tu as proposé de jouer à la lutte, j’ai innocemment accepté. Je sentais une complicité inhabituelle entre vous mais je ne me doutais pas que le piège prenait forme. Lorsqu’il s’est refermé sur moi, il était trop tard. J’étais prise. J’ai d’abord crue que j’avais assez de force pour me sortir de ce guet-appends. Ensuite, j’ai imploré ta pitié. Tu m’as ris au visage. Tu m’a rabaissé. Vous avez tous ignoré mes cris, ma peur, mes demandes d’aides. Vous ne vouliez que vous amuser à mes dépends. Tu m’as souillé, humilié, réduit à l’état de déchet de chair. Contrainte au silence, vous m’avez fait subir les pires horreurs. Vos rires résonnent encore dans les cauchemars qui me tiennent compagnie la nuit. Enterrée vivante à l’intérieur de moi, je me suis longtemps débattue mais vous n’avez pas cédés. Vous aviez décidé d’aller jusqu’au bout. Vous saviez pourtant que ce n’était pas un jeu acceptable; que ce n’était pas un jeu point! Lorsque vous m’avez enfin relâché, je suis allée me réfugier dans le premier coin à ma portée : la toilette. Je me souviens encore du froid de la porcelaine, de l’étroitesse des murs qui me rassurait et de la petite porte qui me séparait de vous. Tu as réussi à ouvrir la porte même si je l’avais barré. Tu as fait semblant de venir me consoler. Tu as poussé le jeu jusqu’à m’embrasser. Je n’étais plus moi-même. J’étais si secouée parce que je venais de vivre que je t’ai rendu ce baiser comme s’il était une bouée alors que je me noyais. Tes mains ont repris leur fouille vers mon intérieur. Tu m’agressais de nouveau. Tu enfonçais ma tête à nouveau dans les eaux tumultueuses de la souffrance. Je me suis enfuie. J’ai couru aussi vite que je le pouvais. Je ne souhaitais que m’éloigner de vous. Dernier instinct de survie, je suis enfin retourné à la lumière. Vous avez cessé votre poursuite. J’étais enfin libre. Du moins, je le croyais.

Ce jour là, vous avez tué mon innocence. Vous avez souillé mon âme. Vous avez collé à mon âme une empreinte négative qui allait m’entraîner dans une tornade destructive. Toutes les défenses qui me tenaient debout dans la tempête sont tombées. Plus rien ne protégeait des insultes et des injures qu’on m’envoyait injustement à la figure. J’ai donc commencé à croire que je ne valais rien; que je méritais mon sort. J’ai même longtemps cru avoir été l’auteur de tout ça. Parce que vous ne vous êtes pas contenté de ce jour noir. Toutes les occasions ont été bonnes pour m’humilier publiquement. Crier dans un haut-parleur dans le quartier que j’étais une putain qui mouillait autant que la sauce dans une poutine, m’injurier, me frapper, jusqu’à ce que je craque… Vous étiez résolu à provoquer ma mort mais je ne lâchais pas. Je m’accrochais à la vie. Seul ma foi m’a tenu. J’étais persuadé que j’avais commis des fautes dans une autre vie et que je devais les purger jusqu’au bout. Tu as même mis ma mère de votre côté. Je me souviens encore de vos paroles : « Lorsque tu garderas ta langue dans ta bouches, on gardera nos poings dans nos poches ». J’étais constamment effrayée. Plus de refuge possible pour une merde dans mon genre. Changer d’école, déménager n’a pas suffit à éteindre l’incendie que vous aviez allumé. Bâillonnée à l’intérieur, je me suis mise à avoir peur de tout, à porter des masques pour ne plus me faire dire que j’étais la seule responsable de toute la souffrance qui me consumait. Je me suis repliée sur moi-même parce que vous m’aviez convaincue que je ne méritais pas l’amitié de quiconque. La nourriture est devenue mon seul plaisir. Et encore. Je ne compte même plus les tentatives de suicide que je préparais en silence. Personne ne voyait le mal que vous m’aviez fait parce que je me suis développé des talents de comédienne. Vous avez réussi à créer une rage en moi qui n’existais pas avant. Un rien m’emportait. Je criais ma colère d’être ainsi incomprises sans jamais l’exprimer réellement parce que je devais garder le silence. De toute façon qui m’aurait cru? Vous aviez si bien convaincu ma mère! Comment aurais-pu m’en faire une alliée? Ma meilleure amie était l’une des vôtres! Seule dans l’obscurité, j’ai essayé d’être ce que vous disiez que j’étais. J’ai essayé la sexualité à outrance, la drogue, l’alcool. Rien n’a réussi à me faire oublier le trou  noir à l’intérieur de moi. J’étais devenue une marionnette, un épouvantail, un imposteur. Je n’étais plus maître de ma vie.

Aujourd’hui, j’arrête tout. J’ai été au bout des moyens qui me servaient de béquilles. Je ne veux plus porter ce fardeau qui ne m’appartient pas. J’ai décidé de porter plainte publiquement. De dire tout haut le mal que vous m’avez fait. De mettre un terme à ce cancer de l’âme que vous avez semé en moi cet été là. Plus personne n’aura d’emprise sur moi comme vous l’aviez fait. Je me tiens debout. Je vous ferai face. Vous paierez pour vos bêtises, vivants ou pas. On passe tous à la caisse un jour et je sais que Dieu ne s’en laissera pas passer. Il lit dans les cœurs. Il ne laissera pas l’injustice passer entre les mailles de l’éternité. On est tous maîtres de nos choix. Je vous souhaite la meilleure des chances pour vous racheter de ces fautes. Je ne garderais plus le silence. Moi aussi je prendrai un haut-parleur. Le mien sera encore plus puissant car il est fait de lumière. Aucune ombre ne résiste à la lumière. Je passe aujourd’hui de victime à lumière.



2 commentaires:

  1. waou.... c'est autant horrible... toute cette douleur... que magnifique de te voir reprendre le pouvoir. Prends soin de toi.

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  2. ho et puis félicitation de l'avoir fait....

    xxxx

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